Nothing will come of nothing [Feat toutes la fratrie Stoneglass]

Mia est réveillée.
Sur les lèvres d’Adel, dans le regard d’Adel, Unaëlle avait bien failli ne pas en croire un traître mot, lorsqu’il l’avait dit au café. Ces mots qu’elle n’aurait jamais cru avoir la chance de ré-entendre, qui se formulaient au moment où la tension entre elle et lui était devenue insurmontable.
Le trajet dans l’aéronef qui les ramenait à Mistral avait paru interminable. Interminable par le silence qui s’agitait entre les deux, ces deux rescapés des Stoneglass entre lesquels semblait surgir une vitre de pierre, mur de verre. Pianotant de ses longs doigts fins sur sa cuisse, la jeune femme se remémora tout ce qu’elle laissait derrière elle, le travail qu’elle entreprenait … si elle avait bien sûr confiance dans les mains expertes de Verhert, elle savait combien la cohabitation avec Nevermore pourrait s’avérer délicate, et combien de toute façon le trafic n’était rien sans elle. Partir ainsi, sur un coup de tête, n’était guère la décision qui paraissait la plus prudente.
Et pourtant … pourtant ils étaient là, dans une zone à l’arrière du crâne, tous ces sentiments renfermés qu’elle ne laissait jamais sortir et qui finissaient pas moisir et gangréner toutes ses pensées. Pourtant, comment pouvait-elle penser, l’ombre d’un instant fragile et serein, à autre chose qu’à se petite sœur, sa fée-luciole, qui venait d’ouvrir grand les yeux dans une blanche chambre d’hôpital ?
Elle regrettait, Una, elle regrettait un million de fois de n’avoir pas pu être là, à la seconde où les yeux bleus de Mia s’ouvraient sur le monde, que la première chose qu’elle puisse voir soit le sourire de sa grande sœur, avant que le réel n’arrive et que les fragments de souvenirs ne s’éparpillent aux quatre vents. Souvenir d’une famille heureuse que Mia quittât autrefois et dont aujourd’hui ne restaient qu’un soldat qui ne sait aimer et qu’une rose bien asséchée.

L’aînée dévisagea son frère, à la dérobée reculante, qui se tenait devant la porte.
Si c’était difficile pour elle, elle n’avait pas la moindre idée de comment ce serait pour lui. Lui, Adel, qui avait partagé tellement plus avec Téodore et Mia qu’Una ne le pourrait jamais, lui, là, debout, immobile. La rose eut cette envie violente de mettre sa main sur son épaule, de lui dire que tout irait bien, mais est-ce qu’on peut dire ces choses-là à un cadet qui vous déteste ?
Alors qu’ils entraient dans la pièce et qu’Adel jeta une boutade, Unaëlle enfin regarda le corps malhabile de sa sœur. Durant les premières semaines, elle était venue, consciencieusement, passer des jours à son chevet. Jusqu’à ce qu’Adel l’accuse, jusqu’à ce qu’Adel lui reproche, et comme il y avait trop de voix pour lui hurler les mêmes injures, elle avait simplement cessé. Dans chaque Faunus qu’elle capturait, dans chaque instant où elle riait, demeurait la brûlure vivace de Mia qui n’était plus là.
Mia était de nouveau là. Demi-allongée dans son lit, cheveux éparpillés doucement, avec cet air sur la figure de celle qui ne sait plus vraiment. En poussant presque son jeune frère, Una bondit à ses côtés et saisit la main blanche et froide de cette autre sœur adorée.
L’émotion la saisit sans fin, la privant de larmes à pleurer, la privant de mots à héler. Juste la savoir là, vivante, éveillé après tout ce temps, était un tel, immense présent, qu’on ne pouvait rien ajouter.
« Fata Mia … »
Ma fée. Ma petite fée. Ma luciole, ma lumière douce, j’ai cru que jamais je ne pourrais saisir encore l’éclat de tes yeux, j’ai cru que c’était fini pour toi, que ton esprit vagabondait dans un univers travesti d’où il ne reviendrait jamais, j’ai cru … j’ai perdu foi en toi, en nous, j’ai perdu foi après tout le reste, qu’il n’y avait plus rien à rêver. J’ai perdu foi, fata mia, j’ai perdu foi et je regrette. Je regrette tellement et si fort, les douleurs que tu as subies, celles que tu subiras encore puisqu’il y a tant que tu ignores dans les maux qui peuplent nos vies. Oh Mia. Je suis désolée. Je suis tellement désolée.
Car c’était ça, au fond, la chose la plus pure, la plus vraie et la plus aveugle, et quand elle s’assit sur le lit en tenant la main de sa sœur, une perle d’argent provisoire vint dévaler tout l’arrondi d’une joue dépourvue de signes. Une larme unique, le fardeau clair des erreurs qu’elle avait commises qui s’allégeait subrepticement.
« Je suis désolée, ma belle. Je suis désolée. »