[FB] D'autres poissons dans l'océan [Una]

Unaëlle jeta un regard à son apparence dans la glace. Elle s’était étoffée. 3 ans à Haven, et ses muscles d’adolescente étaient devenus bien dessinés, les traits de son visage juvénile avaient pris cet air volontaire que seuls peuvent avoir ceux qui luttent. La rose était devenu plus forte, plus courageuse sans doute … mais certainement pas moins fragile.
Ce soir-là, elle se regardait en se préparant pour le bal.
Comme pour chaque bal depuis trois ans, elle avait attendu un signe d’Aethrus, ce grand brun au regard serein qui lui servait de chef d’équipe. Comme chaque année, ce signe n’était jamais arrivé. Comme chaque année, elle en avait plaisanté avec Rogus comme si ça ne la touchait pas, alors que ça lui fendait la poitrine de se dire qu’elle n’était pas vue. Comme chaque année, Nereus Vesta, le leader de la team VRML, lui avait proposé d’y aller avec lui. Et, comme chaque année, elle aurait pu refuser. Mais non. Pas cette fois. Elle avait le droit d’aller au bal comme une adolescente, d’y avoir un cavalier qui ne fasse pas 1m45 et qui passe son temps près du bar à engloutir tous les bonbons et de danser, de rire, de vivre.
Pas cette fois. Elle avait prestement souri face au visage poli et lisse de Nereus, qui s’attendait sans doute encore à essuyer l’un de ses refus. Et elle avait dit oui. Un oui donné du bout des lèvres, assentiments pour une soirée dont elle se relèverait indemne.
Rogus l’avait tellement chambrée, à en devenir presque agressif. La team VRML, que des losers, la team VRML, que des rivaux, la team VRML par-ci, la team VRML par là … oui, d’accord, ils étaient rivaux. A vrai dire, Unaëlle ne pouvait absolument pas supporter la moitié de ces vauriens moqueurs. Elle détestait Lugia, avec ses cheveux bleus et son air de sainte nitouche, qui voulait tant être la meilleure qu’elle en oubliait quelque fois d’être une étudiante comme les autres. Toujours à les rabaisser, les narguer, se moquer d’eux. Ça avait commencé dès le premier jour, et ça avait empiré à la disparition de Zircon. Comme s’ils étaient des incapables, d’avoir laissé ainsi partir leur co-équipière bicolore. Elle détestait Régulus, ce fils de bourgeois insupportable, qui faisait chavirer les cœurs et menait la vie dure à son meilleur ami. De manière presque maternelle, Unaëlle prendrait sa défense face au Faunus lion autant de fois qu’il le faudrait. Ce qui lui attirait parfois l’inimitié de Maxes, un bon gaillard pas rancunier qui aurait pu être adorable s’il ne défendait pas tout le temps la peste aux cheveux bleus et le félin trop sûr de lui.
Et puis … il y avait Nereus. Cryptique, mystérieux, indiscernable Nereus. Comme s’il ne faisait pas vraiment partie de leur équipe, qu’il s’était juste trouvé là et qu’on l’avait nommé leader. Nereus dans la lune, à côté des autres, à côté du monde presque. Chaque fois qu’elle lui avait parlé, Unaëlle avait eu près de lui cette impression étrange et sourde qu’il y avait autre chose derrière, derrière ses iris et ses lèvres, que ce qu’il se laissait montrer.

Nereus qui l’avait invitée au bal. Nereus qui l’attendait déjà sans doute depuis un moment dans le couloir. Passant une main dans ses cheveux, elle se regarda dans la glace, décidant que cela irait et qu’elle serait très bien comme ça. Avec sa robe longue et fluide aux tissus rosés comme elle-même, elle se sentait assez en phase avec l’image qu’elle renvoyait.
Elle sortit vite dans le couloir, désireuse de ne pas le faire attendre une seconde de plus. Elle s’apprêtait à s’excuser d’avoir pris tant de temps avant, mais Nereus fut plus rapide, et d’un pas presque sautillant vint saluer la jolie rose.
« Salut, Nereus ! » lui fit-elle en retour, souriante.
Propre sur lui, costume trois pièces bleutés, cravate pourpre … il était toujours bien vêtu, mais Una devait reconnaître que ce soir il s’était donné. Son sourit se fit encore plus large, tandis qu’elle passait son bras fin autour de celui du vermeil. Mal à l’aise, surtout maladroite, elle ne savait trop par quel biais entamer la conversation. Elle prit le parti de l’humour.
« On y arrive, finalement … pour la première fois en trois ans, un VRML et une AZUR qui vont au bal ensemble ! » Elle aurait sans doute pu glousser si elle n’était pas si nerveuse.
Car, au risque de nous répéter, il nous faut rappeler qu’Unaëlle n’était jamais allée au bal avec un cavalier qui ne fut pas Rogus. Rogus qui, par pitié pour les yeux tristes de son amie qu’Aethrus remarquait à peine, avait pris le parti chaque fois de se remplir bien grand la panse au lieu de danser avec elle. L’adolescente qu’elle était encore riait donc nerveusement à l’approche de son camarade, lançant malgré elle cette boutade qui sonna comme provocation.
« Enfin … » blêmit-elle. « Ce n’est pas ce que je voulais dire, je … »
A aucun moment la jeune femme n’avait-elle voulu le réduire à son simple rôle de leader. Superbe, Unaëlle. Première phrase décrochée, tu es déjà condescendante pour ton pauvre interlocuteur.
« … on y va ? » finit-elle par lancer, avide de distraire Nereus de l’impair qu’elle venait de commettre.
La soirée promettait d’être gaie.