La nuit, touts les chats sont gris [Saturn]

     

     J'avais complètement craqué. Cela ne me ressemblait pas d'être en colère à ce point. J'avais une furieuse envie de partir et de le laisser tout seul réfléchir à l'impact que pouvaient avoir ses actes totalement irréfléchis et irresponsables. Cependant, je restais malgré tout. Qu'il s'explique, au moins. Sinon je n'allais jamais pouvoir le pardonner. Et même s'il avait eu une bonne raison de vendre ses fesses à un criminel, je ne savais pas si un jour, je pourrais le regarder dans les yeux avec la douceur que j'avais autrefois pour lui. J'allais forcément mettre du temps à digérer cette information. J'étais jaloux. Profondément jaloux que Sky donne de l'attention à un vaux-rien qui n'en avait que faire de lui. Alors que moi, j'étais toujours là pour l'aider et le consoler. Et il s'en fichait. Il me voyait juste comme un imbécile-heureux qui se mêlait de ce qui ne le regardait pas. J'essayais toujours de lui apporter un peu plus de bonheur dans sa vie solitaire et chaotique. Mais il était complètement aveugle. Il ne voyait pas à quel point je l'aimais et à quel point je me démenais pour ses jolis yeux. Il n'était qu'un sale égoïste qui s'autodétruisait et qui allait probablement tous nous entraîner dans sa chute.

     Devrais-je avoir pitié de toi ? Mais pourquoi devrais-je faire ça ? Tu t'étais mis à te couvrir les oreilles et à te montrer à moi en position de faiblesse. Ta carapace était complètement ouverte, n'est-ce pas ? Tu étais vulnérable. Dans cet état, n'importe qui pouvait te porter le coup de grâce pour te détruire entièrement. Tsk. Mais... tu pleures ? Comme c'est ironique ! Cela devrait être à moi de pleurer. Certes, j'avais toujours une certaine empathie pour toi, mon cher chaton. Il était tout à fait naturel que tu ressentes de la honte. J'espérais que tu ressentes tout le mépris que je te portais. Et toute la déception que j'éprouvais.

     "J-Je-"

     ...Quoi ? Tu as donné ta langue au chat ? Comme c'est cocasse. Habituellement, c'est toi qui me clouais le bec. Mais la situation avait changé. J'avais le dessus. Et je ne te laisserai plus jamais l'avoir.

     "Je ...Je ...Je veux juste - … Un peu de chaleur- ...D’affection---"

     Tiens donc ? Et le meilleur moyen que tu as trouvé était de te faire souiller par l'un des plus grands criminels du continent ? Cette chaleur que tu cherchais tant allait finir par te consummer entièrement. Et tout cela serait de TA FAUTE.

     "Ju-Juste … Ne plus être vide-"

     Combler un vide en couchant avec n'importe qui ? Quelle idée stupide, ma parole ! Les vides n'étaient pas à combler au sens littéral. Tu es vraiment plus stupide que je l'imaginais.

     "S-sil te plaît-- Ne m'abandonne pas-"

     "Alors arrête, par pitié, de tout faire pour que les autres t'abandonnent !!

     Je le saisis par le col et le soulevai légèrement, pour le forcer à me regarder dans les yeux. Je paraissais alors intimidant, comme un prédateur prêt à achever sa proie. Je sentais son cœur s'affoler. Il ressentait de la peur. Mais je m'en moquais. Savait-il au moins à quel point j'avais peur chaque nuit où il partait se faire détruire par des personnes parfois peu fréquentables au mieux, et au PIRE par Roman Torchwick ? Roman Torchwick... Son nom me donnait la nausée. Sky pouvait voir mon regard plein de colère et de déception.

     "Tu sais quoi ? Je ne vais pas t'abandonner. Mais sache que je vais mettre un moment à pouvoir te regarder en face comme avant. Tu m'as profondément déçu ! Quand je te regarde, je vois seulement un chaton ingrat en constante demande d'affection mais qui ne fait jamais rien pour montrer un minimum de reconnaissance pour ceux qui essayent tant bien que mal d'éponger les soucis dans lesquels tu fonces à bras ouverts et te vautres lamentablement !!"

     Je saisis le chapeau. Il appartenait à Roman Torchwick, c'était clair dans mon esprit maintenant. Il fallait que je m'en débarrasse. Je ne le supportais pas. Je resserrai mon emprise sur le chapeau de ma main libre, puis le jetai de toutes mes forces, et le plus loin possible du haut du toit. Je l'avais peut-être même déformé. Mais ça m'était égal. Que ce maudit chapeau se fasse dévorer par les rats !

     "Tu sais... je pense que tu avais raison quand tu disais que tu étais une traînée."

     Je lui assénai un coup de genou dans le ventre pour le faire tomber, puis je me plaçai au-dessus de lui, mon talon collé contre son torse, et ma main tirant quelques mèches de ses cheveux bleutés. Il était en position d'infériorité. J'aimais ça. J'aurais préféré faire ça dans d'autres circonstances, mais il ne m'avait pas forcément laissé le choix.

     "Et tu mérites une bonne correction. Quoi que... Je ne sais même pas si tu mérites mon attention, en fait."

     Je lui avais balancé ces mots sèchement en un claquement de langue. Aussi sèchement que pouvait l'être un coup de fouet. Ma main caressa son visage, mais ce n'était pas aussi doux que d'habitude. Puis d'un seul coup, sans prévenir, je lui assenai une claque monumentale, comme j'en donnais que très rarement. L'impact avait probablement été accentué par le cuir de mon gant. Et mes griffes avaient écorché son magnifique visage. Non. Ce charmant minois cachait en réalité une catin. Il ne fallait en aucun cas que je culpabilise. Après tout, on me payait cher pour être frappé, habituellement.